• IDEES & RESSOURCES POUR REINVENTER LE CONGO

Le cynisme impérial face à la myopie de l’élite congolaise

Le cynisme impérial face à la myopie de l’élite congolaise

Le cynisme impérial face à la myopie de l’élite congolaise 852 567 Ingeta

Par Mufoncol Tshiyoyo

Allons-y, il n’y aura pas de cadeau pour « nous ». Cette vérité est nue, presque brutale: toute illusion entretenue finit toujours par se transformer en chaîne. Les «Accords de Washington», loin d’annoncer une sortie de crise, révèlent surtout trois réalités indissociables :
1. un pays privé de vision d’État,
2. une élite dirigeante congolaise subalterne, intellectuellement désarmée et politiquement fragmentée,
3. un empire parfaitement conscient du vide politique qui se présente à lui – et qu’il exploite sans état d’âme.

Dès lors, il ne s’agit plus seulement de dénoncer l’Amérique, ni de réduire le drame du Congo à une agression rwandaise par procuration. Il s’agit de nommer une pathologie politique interne, plus profonde, plus ancienne, plus structurante : ce que j’appelle ici la myopie congolaise.

La myopie congolaise

Pourquoi parler de myopie congolaise ? Par myopie, je n’entends ni une ignorance naïve ni une absence d’information, mais une illusion stratégique durable, nourrie par une rationalité opportuniste et une forme de servitude consentie. Les acteurs du pouvoir voient clair pour leur trajectoire individuelle, mais demeurent aveugles aux conséquences historiques de leurs choix pour l’État.

Les « acteurs » congolais ne sont pas myopes pour eux-mêmes ; ils sont lucides sur leur carrière. Mais le Congo, en tant qu’État absent, est profondément myope quant aux conséquences historiques de ces choix. Ce qui relève, à l’échelle individuelle, d’une rationalité opportuniste devient, à l’échelle nationale, une cécité stratégique. Ce qui est un calcul conscient pour l’homme politique devient une trajectoire suicidaire pour le pays.

La myopie, ici, n’est ni une insulte ni un jugement moral. Elle désigne un diagnostic stratégique, au sens précis que lui donne Evgueni Primakov : la capacité à agir consciemment à court terme tout en restant aveugle aux conséquences systémiques de long terme (Le Monde sans la Russie ? À quoi conduit la myopie politique, Éditions Economica, 2009). Appliquée au Congo, cette myopie n’est donc pas individuelle, mais structurelle.

Les « acteurs » congolais ne sont pas myopes pour eux-mêmes ; ils sont lucides sur leur carrière. Mais le Congo, en tant qu’État absent, est profondément myope quant aux conséquences historiques de ces choix. Ce qui relève, à l’échelle individuelle, d’une rationalité opportuniste devient, à l’échelle nationale, une cécité stratégique. Ce qui est un calcul conscient pour l’homme politique devient une trajectoire suicidaire pour le pays.

Double myopie : congolaise et américaine. La myopie politique, dans ce cadre, intervient dans les deux sens, chez les Américains comme chez les Congolais. Chez ces derniers, l’appétit du pouvoir-os rejette le souci de connaître et d’étudier le véritable adversaire. La myopie congolaise, c’est de refuser de comprendre que l’Amérique ne profitera jamais — ce n’est pas dans sa nature — de la paix au Congo, puisque la paix signifie : l’ordre, la fiscalité minière, et la régulation des transferts financiers.

Autrement dit, la paix obligerait les entreprises américaines à payer des taxes et impôts, alors que la réglementation de change, facilitée par le chaos de la guerre permet à ces mêmes entreprises de rapatrier tous les bénéfices aux États-Unis sans rien payer au Congo. Ne pas le comprendre, même en tenant à conserver le pouvoir voltigeant, c’est tirer une balle dans le pied. C’est parier sur l’aveuglement généralisé – une constante des logiques de domination.

Le deal impossible

Ce que les acteurs congolais du pouvoir croient être un « deal » n’est, en réalité, qu’un rapport de force unilatéral, accepté à l’avance et maquillé en partenariat. Dans ce cas, le « deal  » impossible. D’un côté, le demandeur croit qu’il négocie. De l’autre, les Anglo-saxons savent que ceux qui viennent à eux veulent le pouvoir personnel ; ils acceptent d’avance les conditions ; n’ont aucune ligne rouge nationale ; ils sont interchangeables.

Les acteurs congolais croient que les minerais qu’ils souhaitent monnayer appartiennent réellement au Congo. Or, dans les faits : les capitaux sont occidentaux, les assurances sont occidentales, les banques sont occidentales, les cadres juridiques sont occidentaux. Ainsi, le Congo se rend à Washington en croyant offrir une richesse nationale, alors qu’il tente de négocier avec une monnaie qu’il ne contrôle plus. Ils veulent vendre ce que d’autres possèdent déjà. C’est ici que la myopie congolaise, devenue à la fois politique et économique, atteint son paroxysme.

Dès lors, le pouvoir accordé est toujours : conditionnel, temporaire, sous hypothèque. L’adoubement se paie : en concessions minières, en alignement diplomatique, en silence stratégique. Mais — et c’est là le point décisif — payer n’assure aucun avantage. Le pouvoir donné peut être retiré à tout moment.

D’où, le recours au concept du pouvoir-os. J’ai appelé cela le pouvoir-os (en lingala, mokuwa) : un pouvoir vide, concédé, conditionné, toujours révocable. Il n’est pas le fruit d’un rapport de force ; il est le produit d’une servitude consentie, souvent dissimulée sous le vocabulaire de la coopération. Et précisément parce qu’il est demandé, et non arraché, il est méprisé. Washington ne négocie pas avec des hommes porteurs d’un projet d’État. Washington utilise des hommes porteurs d’ambitions individuelles.

À cette impasse politique s’ajoute une illusion économique (l’illusion minière) encore plus grave. Les acteurs congolais croient que les minerais qu’ils souhaitent monnayer appartiennent réellement au Congo. Or, dans les faits : les capitaux sont occidentaux, les assurances sont occidentales, les banques sont occidentales, les cadres juridiques sont occidentaux. Ainsi, le Congo se rend à Washington en croyant offrir une richesse nationale, alors qu’il tente de négocier avec une monnaie qu’il ne contrôle plus. Ils veulent vendre ce que d’autres possèdent déjà. C’est ici que la myopie congolaise, devenue à la fois politique et économique, atteint son paroxysme. Lorsque les acteurs congolais du pouvoir se présentent devant les Américains, que voit-on réellement ?
– Ni un État,
– Ni une doctrine,
– Ni une vision stratégique,
– Ni une maîtrise territoriale.

A la place, Washington voit un vide politique. Et une puissance impériale ne respecte jamais le vide. Elle l’exploite. On ne négocie pas avec le vide. On le remplit de ses propres intérêts. En effet, Washington ne distribue pas du pouvoir, mais des fonctions sous contrôle.

Quand la myopie persiste malgré la preuve : Debré et Juillet

Or, cette lecture n’est pas une spéculation congolaise contemporaine : elle est confirmée par des aveux occidentaux eux-mêmes. À ce stade, il faut être clair : la myopie congolaise ne s’explique pas par l’absence d’informations, mais par le refus persistant d’en tirer les conséquences politiques.

L’élite nouvelle naît hors système. Une élite en place ne forme jamais l’élite qui doit la remplacer ; elle la combat, elle la hait, elle la craint — et pourtant, elle finit toujours par lui céder la place. L’histoire est constante… Partout, la relève est née hors du système dominant. Dans l’exil, la prison, la clandestinité, la répression. Ce sont des élites forgées par la vie, pas par les institutions.

Dès 1998, un témoignage occidental autorisé vient pourtant établir les faits sans ambiguïté. Bernard Debré, médecin, ancien ministre français, député à l’Assemblée nationale, frère de Michel Debré, figure centrale de l’État français, déclare dans sa déposition du 2 juin 1998 : «Il est également reconnu que des militaires US ont aidé l’armée de Kigali à conquérir le Kivu puis la totalité du Zaïre.»

Cette déclaration n’émane ni d’un militant congolais, ni d’un chercheur périphérique, ni d’un polémiste. Elle engage la parole d’un homme au cœur de l’appareil politique occidental, conscient du poids de ses mots. Mais Bernard Debré va plus loin. Dans son ouvrage Le Retour du Mwami – La vraie histoire des génocides rwandais (Éditions Ramsès, 1998), il affirme que des marines américaines ont trouvé la mort au Kivu lors des combats. Il précise que leurs corps auraient été évacués discrètement par des militaires français, puis rapatriés aux États-Unis dans le plus grand secret. Si ces faits sont exacts — et ils n’ont jamais été formellement démentis — il ne s’agit plus d’un soutien indirect ou logistique, mais d’une implication militaire directe, couverte par le silence diplomatique et l’opacité stratégique.

Des années plus tard, un autre Français, issu d’un tout autre univers institutionnel, vient corroborer cette réalité. Alain Juillet, ancien responsable des cercles sécuritaires et du renseignement économique français, revient publiquement sur le Rwanda et le Congo. On peut ne pas partager l’ensemble de ses analyses. Mais on ne peut ignorer cette affirmation centrale : Kigali a été aidé par des forces spéciales américaines, et les troupes de Kagame ont installé Laurent-Désiré Kabila à la place de Mobutu.

Deux hommes. Deux parcours. Deux époques. Une même réalité stratégique. Dès lors, la question fondamentale n’est plus qui savait. Elle est bien plus grave : qui a choisi de ne pas voir, qui a refusé de nommer, et qui a préféré l’illusion de l’adoubement à la lucidité politique ? Car lorsque la preuve existe, documentée, répétée, formulée par des acteurs occidentaux eux-mêmes, le déni n’est plus une erreur : il devient une faute stratégique.

Ce qui ne va pas vraiment : l’absence d’État et d’élite comme corps historique. Ce refus de voir n’est pas accidentel. Il est structurel. Le Congo ne voit pas l’impérialisme parce qu’il n’a pas encore vu sa propre absence d’État. Ce n’est pas l’Amérique qui est invisible. C’est le Congo qui n’a pas d’yeux politiques.
Depuis 1960 :
a) pas de classe dirigeante constituée, mais des candidats au pouvoir,
b) pas de doctrine nationale, mais des trajectoires individuelles,
c) pas d’école de pensée, mais des intellectuels isolés.
Une élite ainsi produite ne peut ni comprendre l’empire, ni lui résister.

Loi universelle : l’élite nouvelle naît hors système. Une élite en place ne forme jamais l’élite qui doit la remplacer ; elle la combat, elle la hait, elle la craint — et pourtant, elle finit toujours par lui céder la place. L’histoire est constante :
– Révolution française,
– Russie 1917,
– Chine maoïste,
– « indépendances » africaines
– Iran 1979.
Partout, la relève est née hors du système dominant.
Dans l’exil, la prison, la clandestinité, la répression.
Ce sont des élites forgées par la vie, pas par les institutions.

En conclusion : naître hors du système

Ce texte n’avait pas pour objectif de dénoncer une puissance étrangère, mais de nommer une responsabilité interne. La myopie congolaise n’est ni une fatalité, ni une malédiction, ni une ignorance. Elle est le produit :
a) d’une servitude consentie,
b) d’une illusion stratégique,
c) d’une rationalité opportuniste élevée au rang de politique nationale.

Tant que le Congo confondra : l’adoubement avec la légitimité, le pouvoir concédé avec l’État, la richesse avec la puissance, la protection étrangère avec la souveraineté il restera un espace disponible dans l’ordre des autres, jamais un acteur de sa propre histoire.
Il n’y aura ni passation élégante, ni transition douce, ni cadeau.
L’élite congolaise à venir ne demandera pas la permission d’exister. Elle apparaîtra. Et par sa seule apparition, elle rendra l’ancienne inutile. C’est à ce prix — et à ce prix seulement — que le Congo cessera de demander et commencera enfin à se tenir debout.

 

Mufoncol Tshiyoyo, M.T., un homme libre
Fondateur et Executive manager du Think Tank Lp, La Libération par la perception. Dissidence.

INGETA.

REINVENTONS

LE CONGO

Informer. Inspirer. Impacter.

Notre travail consiste à :
Développer un laboratoire d’idées sur le passé, présent et futur du Congo-Kinshasa.

Proposer un lieu unique de décryptage, de discussion et de diffusion des réalités et perspectives du Congo-Kinshasa.

Aiguiser l’esprit critique et vulgariser les informations sur les enjeux du Congo, à travers une variété de supports et de contenus (analyses, entretiens, vidéos, verbatims, campagnes, livres, journal).