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La guerre perpétuelle contre le Kongo-Kinshasa et ses « causes profondes »

La guerre perpétuelle contre le Kongo-Kinshasa et ses « causes profondes »

La guerre perpétuelle contre le Kongo-Kinshasa et ses « causes profondes » 1440 959 Ingeta

« Des leçons d’éthique assenées sans une profonde remise en cause du système déshumanisant mettant à mal l’être et le bien-vivre ensemble peuvent s’apparenter aux doctrines des bonnes intentions. Sans plus. Un système différent est nécessaire pour sauver l’humain de la haine de soi et d’autrui. » – Babanya

Mise en route

Des compatriotes kongolais seraient déçus. Ils auraient entendu l’un des médiateurs impliqué dans le processus pouvant conduire à la fin de la guerre de basse intensité dont souffre le pays faire allusion à ses « causes profondes ». Cette allusion signifierait, pour eux, qu’il reconduit « la propagande de l’ennemi ». Qui est cet ennemi ? Quelle est son histoire ? Quel est son mode opératoire ? Quelle est son approche de l’autre, du différent ? Depuis quelques années, des réponses rapides données à ces question sèment beaucoup de confusion. Elles sont amnésiques.

Traiter des « causes profondes » de cette guerre par morceaux devrait être un exercice favori pour les Kongolais. Individuellement et collectivement.

Elles sont « arrangées ». Elles témoignent d’une certaine fatigue du point de vue de la pensée quand elles ne sont pas tout simplement opportunistes. Elles portent un petit espoir enfantin : une fin rapide de la guerre et un retour à la fête en buvant le champagne ruinart ; « les partenaires classiques » peuvent aider pour cela. Qui leur a partagé l’agenda des « partenaires classiques »? Eux, ils veulent « redevenir grands » A quel prix ? Comment ? Des questions que ces compatriotes évitent.

Amoureux de la fête au ruinart, ils oublient cette grande leçon de l’histoire : « La libération ne peut être accordée par des étrangers même si c’est ce que souhaitent ces derniers : c’est le peuple lui-même qui doit se battre pour ses valeurs et les faire triompher. Elles ne peuvent s’épanouir en fleurs que si elles sont plantées par le peuple dans son propre sol, arrosées de son propre sang et de ses propres larmes. » De ce point de vue, plusieurs Wazalendo et les Kongolais qui leur sont apparentés seraient un peu plus avancés que les autres.

Et traiter des « causes profondes » de cette guerre par morceaux devrait être un exercice favori pour les Kongolais. Individuellement et collectivement. Pourquoi ? La mémoire est une faculté qui oublie. Dieu merci. Les livres et les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication peuvent encore être d’un secours certain.

Des « causes profondes » de la guerre perpétuelle contre le Kongo-Kinshasa, parlons-en. Remontons l’histoire. Cela éviterait de plonger dans la confusion. De faire des « causes profondes » des « causes immédiates » ou « des causes médiatisées » à coup de fabrication du consentement par des  »communicateurs interposés » et au dépens du temps long.

Les théories racialistes et « les non-personnes »

Une guerre par morceaux se mène au coeur de l’Afrique. La dater des années 1990 ; c’est prendre un raccourci. C’est se moquer de la mémoire collective kongolaise. Faire allusion à « ses causes profondes » sans questionner l’histoire sur le temps long, c’est vouloir aller très vite en besogne.

Pour rappel, cette guerre est très bien documentée. A titre illustratif, deux livres peuvent être cités. « Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique » de Pierre Péan (Paris, Fayard, 2010) et « L’Occident terroriste. D’ Hiroshima à la guerre de drones » (Montréal, Ecosociété, 2015). Lire Pierre Péan permet de comprendre que ce qui se passe au Kongo-Kinshasa est une guerre raciste. Elle s’inscrit dans la droite ligne des théories racialistes élaborées au XIXe siècle et octroyant aux  »races supérieures » réunies à Berlin (sans l’Afrique)  »le droit » de pouvoir  »civiliser »  »les races inférieures ». Les diviseurs de l’Afrique à la conférence de Berlin (1884-1885) ont cette  »mission civilisatrice » comme objectif majeur. Et cet objectif affiché officiellement est au service, subrepticement, du capitalisme prédateur des terres, destructeur hégémonique des cultures et des croyances africaines. Aimé Césaire en témoigne en écrivant le « Discours sur le colonialisme »(Paris, Présence Africaine, 1950).

« Le génocide » kongolais ne peut se comprendre que sur fond de la néantisation, de la négation du bomoto de l’humain kongolais réduit au rang d’une bête de somme depuis « l’humiliant esclavage » jusqu’à ce jour. Il y a, ici, une violence dont souffre encore l’inconscient collectif kongolais.

Depuis Berlin, et même un peu avant, cette « mission civilisatrice » a pris différentes dénominations ( aide au développement, défense des droits de l’homme, promotion de la démocratie, etc.) pour couvrir « la sorcellerie capitaliste ». Fondée, entre autres sur la réification du vivant et de l’humain, cette « sorcellerie » a divisé le monde entre « les personnes et « les non-personnes », c’est-à-dire « tous les autres qui ne comptent pas ». En utilisant le concept « non-personnes », « Orwell dépeignait une société de l’avenir, mais le terme s’applique assez bien au monde actuel[1] », souligne Noam Chomsy.

Donc, prenant appui sur les théories racialistes, « les petites mains » du Capital orchestrent l’exclusion des pans entiers des peuples du monde du banquet de la vie. Elles ont du mépris pour eux. Prises dans l’engrenage de l’instinct de domination, elles font passer le profit avant le vivant et l’humain (« inférieur »). Telle est l’une des « causes profondes » de la guerre par morceaux au Kongo-Kinshasa : le mépris des gens qualifiés de « non-personnes ». L’esclavage et le colonialisme des temps modernes n’ont rien à envier à ceux d’hier. C’est le même système empiré.

Andre Vltchek y fait allusion lorsqu’il note ce qui suit : « Je suis en train de terminer un long métrage documentaire intitulé Rwanda Gambit, dont le tournage m’a demandé plus de trois ans. Les chiffres sont maintenant plus élevés (…) : ce sont 6 à 10 millions de personnes qui ont été tuées en RDC, un chiffre à peu près équivalent des victimes du roi Léopold II au début du XXe siècle (…). Si le Rwanda, l’Ouganda et leurs exécutants sont les assassins de ces millions d’innocents, les intérêts géopolitiques et économiques occidentaux ne sont jamais loin derrière. [2]»

Depuis la conférence de Berlin, et même un peu plus tôt, la réification du vivant et de l’humain sert les intérêts géopolitiques et économiques des entreprises trans et multinationales. Pour dire les choses autrement, « le génocide » kongolais ne peut se comprendre que sur fond de la néantisation, de la négation du bomoto de l’humain kongolais réduit au rang d’une bête de somme depuis « l’humiliant esclavage » jusqu’à ce jour. Il y a, ici, une violence dont souffre encore l’inconscient collectif kongolais.

Comprendre cela ne signifie pas justifier le fait que la prise de conscience de cette humiliation ne soit pas, au coeur de l’Afrique, la chose la mieux partagée collectivement. Comment cela aurait-il pu être possible avec la déstructuration de la famille et l’expansion de l’inculture après l’échec de la décolonisation ? Nous y reviendrons.

Causes profondes, bibliothèques et vidéos

La réification du vivant et de l’humain au nom de la marchandisation de la vie et du profit marche de pair avec la perte de la boussole éthique et le triomphe de la cupidité. « Les sorciers capitalistes » et leurs « petites mains » ont développé, dans plusieurs pays du monde le culte de la cupidité.

L’instinct de domination porté par les théories racialistes, la réification de l’humain et du vivant -expression du mépris des gens- et la triomphe de la cupidité sont « les causes profondes » de la guerre de prédation et de basse intensité imposée au Kongo-Kinshasa et à plusieurs autres pays du monde par « la sorcellerie capitaliste ».

Un économiste américain de renom, Joseph Stiglitz, en écrivant « Le triomphe de la cupidité » (Paris, Les Liens qui libèrent, 2010) aide à comprendre comment les cupides exploitent « les non-personnes » « quand le capitalisme perd la tête »(Paris, Fayard, 2003).

En étudiant attentivement l’histoire et la marche capitaliste du monde, il est possible d’indiquer que l’instinct de domination porté par les théories racialistes, la réification de l’humain et du vivant -expression du mépris des gens- et la triomphe de la cupidité sont « les causes profondes » de la guerre de prédation et de basse intensité imposée au Kongo-Kinshasa et à plusieurs autres pays du monde par « la sorcellerie capitaliste ». Celle-ci a, culturellement, en véhiculant son soft power, et avec l’aide de ses « huissiers » (le FMI et la Banque mondiale), la capacité de neutraliser le penser et le sentir de ceux et celles qu’elle veut « convertir » en « non-personnes ». Elle les évide de toute émotion, de toute empathie, de toute compassion et de toute « éthique du soin ».

Donc, lorsqu’au coeur de l’Afrique, « les médiateurs » chargés de trouver une issue viable à cette « guerre sorcière » font allusion à l’analyse et à la connaissance de ses « causes profondes », les Kongolais éveillés devraient (re)jeter un coup d’oeil à leurs bibliothèques . Pour éviter de confondre « les causes profondes » avec « les petites causes immédiates » ou « immédiatisées » officiellement ou « médiatisées » par des « communicateurs » interposés au dépens de la longue histoire. Au dépens du temps long et de la connaissance du mode opératoire du « capitalisme sorcier ».

Remonter le temps, c’est exigeant. Cela demande de s’asseoir et de lire. De lire et de relire. De visualiser certaines vidéos déjà oubliées. Un exemple : « Le conflit au Congo. La vérité dévoilée« . Cette vidéo est encore d’actualité… Tout comme « Rwanda’untold story ».

La philosophie du « londeshila londeshila »

Oui. Remonter le temps. Dire l’échec de la décolonisation et questionner l’ambition des « partenaires historiques » du Kongo de « redevenir grands ». Hiroshima et Nagasaki auraient-ils eu lieu sans l’uranium de Shinkolobwe[3]? Quel regard « les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale » ont-ils pu porter (après) sur les matières premières stratégiques du pays d’un Lumumba assassiné parce qu’il voulait, entre autres, une fois aux affaires, nationaliser les entreprises minières de son pays ? Cela en vue de rompre avec le capitalisme qu’il qualifiait de « honteux » et de « dégradant »?

Un chasseur voulant que sa chasse soit fructueuse reste attaché aux repères.

Il y a ici un appel « philosophique » à lancer. Un appel à « la philosophie du tshilembi » (chasseur). Un chasseur voulant que sa chasse soit fructueuse reste attaché aux repères. (Un adage luba l’exprime de la meilleure manière : Tshilembi londeshila londeshila, londeshila pa kapasu, pa kanyi ka tutele, nanku kele katua mu nyama.) Une chasse voulant atteindre son objectif, le nyama, la bête, se sert de repères (kapasukanyi ka tutele).

Il en va de même d’une organisation historico-politique, culturelle et sociale consciente du pays. Elle se fait en connaissance de cause. Elle interroge l’histoire et la mémoire collective. Elle évite, le mieux qu’elle peut, le ngulu ngulu, comme dirait les kinois.

Les partenaires classiques, les deux péchés originaires et la recolonisation

Lorsque « les partenaires classiques » ou « historiques » du Kongo-Kinshasa affirment qu’ils veulent « redevenir grands », un effort pour une (re)lecture occidentologique de l’histoire devrait être déployé du côté kongolais. Ils se rendraient compte, par exemple, que comme hier, ils ont choisi « le protectionnisme économique ». Sa pratique, hier, a contribué, à leur enrichissement[4] comme à celui de leurs amis britanniques. Ils y reviennent aujourd’hui au moment où les gouvernants kongolais, eux, ne jurent que par « l’amélioration du climat des affaires ».

Exploiter cruellement, conquérir les terres, les coeurs et les esprits, avoir une main-d’oeuvre corvéable à souhait, recoloniser l’Afrique, telle est la liste interminable de « causes profondes » de la guerre raciste de prédation et de basse intensité imposée au coeur de l’Afrique.

Et « aux premiers jours des Etats-Unis, écrit Noam Chomsky, on entrevoyait un avenir sans fin de richesse, de liberté et d’épanouissement et de pouvoir croissants -tant qu’on ne faisait pas trop attention aux victimes. Les Etats-Unis étaient une société de colons-la forme la plus brutale d’impérialisme. Il fallait ignorer le fait qu’on s’assurer une vie plus riche et plus libre en décimant la population indigène, premier « péché originel » de la société américaine ; et en réduisant massivement en esclavage un autre segment de la population, second grand péché (nous vivons encore sous les effets des deux) ; puis ignorer la main-d’oeuvre cruellement exploitée, les conquêtes à l’étranger, etc.[5]»

Y aurait-il des garanties de non-répétition de ces « deux péchés originaires » dans la signature du « deal » entre le Kongo-Kinshasa et les USA pour un probable début de rupture avec « le capitalisme de la finitude » au coeur de l’Afrique ? Il semble que non. Si tout dépend du côté US. L’un des protagonistes engagé dans ce processus de guerre par morceaux affirme qu’il s’agit de « coloniser à nouveau[6]» (l’Afrique et l’Amérique latine).

Exploiter cruellement, conquérir les terres, les coeurs et les esprits, avoir une main-d’oeuvre corvéable à souhait, recoloniser l’Afrique, telle est la liste interminable de « causes profondes » de la guerre raciste de prédation et de basse intensité imposée au coeur de l’Afrique.

En sus, l’échec de la décolonisation a induit la fabrication des « petites mains » au service du néocolonialisme vivant de la traîtrise, de la corruption, de l’enrichissement illicite et de l’hédonisme consumériste dans les rangs des gouvernants kongolais depuis Mobutu jusqu’à ce jour. A quelques exceptions près, bien sûr. Donc, le néocolonialisme (néolibéral) et ses « petites mains » font partie des « causes profondes » de la guerre par morceaux.

Rejoindre les forces contre-hégémoniques

Y résister en (re)créant le nous, le lien et/ ou la reliance à partir des collectifs citoyens producteurs des « communs », comprenant cette longue histoire et entretenant une mémoire vivante dans une dynamique permanente d’une « éthique de soin » (du nous) et d’une « éthique reconstructive » peut être un pas important dans la reconstruction des bantu kongolais dont l’identité humaine souffre de sa chosification. Rejoindre stratégiquement les forces contre-hégémoniques du Sud mondial reste une démarche à encourager. Encore faudrait-il que renaisse un Etat réellement souverain au coeur de l’Afrique…

 

Babanya Kabudi

[1] N. CHOMSKY et A. VLTCHEK, L’Occident terroriste. D’ Hiroshima à la guerre des drones, Montréal, Ecosociété, 2015, p. 17.

[2] Ibidem, p. 20.

[3] Lire A. LACROIX-RIZ, Les origines du plan Marshall. Le mythe de « l’aide » américaine, Paris, Armand Collin, 2023, 571 p.

[4] Lire N. CHOMSKY, Futurs proches. Liberté, indépendance et impérialisme aux XXIe siècle,, Paris, Lux, 2011, 388 p.

[5] N. CHOMSKY, Requiem pour le rêve américain. Essai, Paris, Climats, 2017, p. 21.

[6] A. ORAIN, Le monde confisqué. Essaie sur le capitalisme de la finitude (XVIe-XXIe siècle), Paris, 2025, p. 260.

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