Par Jean-Pierre Mbelu
«En somme, l’instruction doit permettre à l’individu de passer du statut d’homme à celui de citoyen, ce qui le rend seul digne de détenir une part de souveraineté politique, c’est-à-dire de contribuer à faire la loi et à déterminer les orientations politiques et sociales de l’Etat. (…) L’ignorance est donc ce qu’il faut combattre grâce à l’instruction, car ce qui éloigne le citoyen de la vie politique. »
– C.-E. DE SAINT GERMAIN
Mise en route
Il semble que la Fondation Thabo Mbeki aurait pris l’initiative d’organiser une conférence pour la paix au Kongo-Kinshasa du 03 au 06 septembre. La majorité au »pouvoir », la société civile et l’opposition kongolaises y seraient invitées.
Etre traînés à travers certaines capitales du monde comme de petits enfants immatures et irresponsables devrait pousser les Kongolais à dire : « Stop ! Il y en a marre ! » Ce spectacle est désolant.
Pour rappel, les Kongolais ont déjà été en Afrique du Sud en 2002 et deux fois. A Sun City et à Pretoria. Pourquoi ces deux rencontres n’ont-elles pas mis fin à la guerre ? Quel serait l’intérêt de Thabo Mbeki ? Pourquoi se soucierait-il de la paix au Kongo ? Quelles garanties les Kongolais pourraient-ils avoir que ce qu’il n’ a pas pu faire pendant qu’il était président, il le réaliserait maintenant qu’il est à la retraite ? A quel jeu joue-t-il ? Quels sont les intérêts qu’il a voulu sauvegarder en 2002 ? Qu’est-ce qui fait que tout ce beau monde se sente concerné par ce beau et grand pays au coeur de l’Afrique ?
Etre traînés à travers certaines capitales du monde comme de petits enfants immatures et irresponsables devrait pousser les Kongolais à dire : « Stop ! Il y en a marre ! » Ce spectacle est désolant. Ce n’est pas possible que les Kongolais soient tout le temps invités par »les autres » pour trouver des solutions aux questions qui se posent chez eux. Est-ce tout ce beau monde prend encore les Kongolais au sérieux ? Est-ce que les Kongolais eux-mêmes se prennent au sérieux ? Où est passé ce sursaut d’orgueil qui les pousserait à dire : « Stop « ? Après Washington, Doha…C’est maintenant Thabo Mbeki. Non. Il faut arrêter…
Mais pour arrêter, il est nécessaire de revisiter l’histoire. Elle est écrite. Les livres sont là. Que la paresse et l’entretien de l’ignorance ne conduisent pas ceux et celles des Kongolais qui ont sali la politique à opérer des choix irréfléchis.
Le Kongo, maillon essentiel du projet mondialiste en Afrique
Il est toujours important de rappeler, à temps et à contretemps, que la guerre par procuration menée contre le Kongo-Kinshasa est une guerre raciste de prédation orchestrée par les mondialistes au service du capitalisme du désastre. Elle participe de la stratégie du choc[1] qui est au coeur de ce capitalisme. Il faut y être attentif. Les proxies y ayant joué un rôle de premier plan ne sont pas que le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Il y a aussi l’Afrique du Sud de Thabo Mbeki, très proche de ces pays de l’Est de l’Afrique.
Il est toujours important de rappeler, à temps et à contretemps, que la guerre par procuration menée contre le Kongo-Kinshasa est une guerre raciste de prédation orchestrée par les mondialistes au service du capitalisme du désastre.
Bien qu’étant des proxies, tous ces pays avaient aussi leurs agendas propres. Les uns voulaient à tout prix créé l’empire Hima Tutsi avec Kaguta Museveni comme empereur, les autres, les Sud-Africains cherchaient à s’affirmer comme puissance économique incontournable en Afrique australe. Ces agendas ont été cachés sous de faux prétextes. Pour les uns, il fallait à tout prix exterminer »les génocidaires » ; pour les autres, « la renaissance africaine » dans une Afrique ouverte à la mondialisation devrait devenir une urgence.
Thabo Mbeki se sert de ce fallacieux prétexte pour jouer le médiateur dans cette guerre de prédation et de basse intensité imposée au Kongo-Kinshasa. Les Kongolais acceptant cette médiation ne savent probablement pas que « les projets fondés sur l’idée de « renaissance africaine » ont pour ambition de mieux intégrer le continent aux circuits économiques mondiaux, et le Congo, écrit Colette Braeckman, est un maillon essentiel de la réussite de cette ambition. Dans cette perspective, il apparaît que l’objectif à long terme de la guerre menée au Congo fut de remettre le pays sur cette trajectoire-là, de mieux l’intégrer dans l’économie mondialisée. [2]» Donc, en jouant le faux médiateur, Thabo Mbeki a fait partie de « faiseurs de paix dans un pays mis sous tutelle [3]» des mondialistes par le biais de l’ONU.
Thabo Mbeki, faux médiateur, impose »Joseph Kabila »
Il assume ce rôle de faux médiateur à Sun City en avril 2002 et à Pretoria en décembre de la même année. Il fait signer aux participants à ces rencontres des textes d’accords rédigés par »les nègres » des mondialistes et consacrant la mainmise des entreprises trans et multinationales sur les terres kongolaises et leurs ressources. Ces accords obéissent aussi à une stratégie, celle du talk and fight[4] permettant aux armées du Rwanda, de l’Ouganda et leurs milices de souffler avant de poursuivre la guerre. Cette guerre, aux yeux de Thabo Mbeki, garantissait tant soit peu la stabilité[5] dont les industriels sud-africains avaient besoin pour participer à la prédation du Kongo.
A la rencontre de Sun City, au cours d’une pause café, Thabo Mbeki se confiant à deux Kongolais qui y étaient invités leur dit ceci : « Il m’a été imposé d’imposer Joseph Kabila aux Kongolais. » A quel titre lui a-t-il été imposé d’imposer »Joseph Kabila » aux Kongolais ? Et pourquoi ? De quoi « Joseph Kabila » était-il le nom ?
A la rencontre de Sun City, au cours d’une pause café, Thabo Mbeki se confiant à deux Kongolais qui y étaient invités leur dit ceci : « Il m’a été imposé d’imposer Joseph Kabila aux Kongolais. » (L’un de ces deux Kongolais, Valentin Mubake, est encore vivant et l’information peut être vérifiée.) A quel titre lui a-t-il été imposé d’imposer »Joseph Kabila » aux Kongolais ? Et pourquoi ? De quoi »Joseph Kabila » était-il le nom ?
Il l’a fait en tant que Président d’un pays qui était le »bras avancé de Washington et de Londres en Afrique », comme le révèle si bien le professeur Bucyalimwe Mararo Stanislas[6]. Il l’a fait comme »nègre de service » de Washington et de Londres afin d’avaliser la légitimité extérieure dont »Joseph Kabila » avait besoin pour s’imposer à l’intérieur du pays.
La rencontre de Sun City est intervenue après la tournée de ‘Joseph Kabila » en Occident en 2001. L’ambassadeur américain à Kinshasa, William Swing, lui avait remis une lettre du président Bush l’invitant à un déjeuner de prière. En route pour Washington, il s’était arrêté à Paris. Après, il est allé en Suède, en Allemagne, et au Canada. Contrairement à Laurent-Désiré Kabila malmené par les grandes puissances et les sociétés minières et assassiné le 16 janvier 2001, »Joseph Kabila » aurait « compris que la légitimation extérieure lui était indispensable.[7]» Pour en bénéficier, quel fut l’un de ses secrets ? « »Joseph Kabila » concède tout ce que »son père » avait refusé [8]» aux fondés de pouvoir du Capital et à ses huissiers (dont le FMI et la Banque mondiale.)
De quoi ce »Joseph Kabila » était-il le nom ? »Un nègre de service » pour les trans et les multinationales, »une petite main du Capital ». En l’imposant aux Kongolais à Sun City, Thabo Mbeki introduit »un loup dans la bergerie » kongolaise.
L’Afrique du Sud de Thabo Mbeki et la plaie saignante du Kongo
Bref, l’Afrique du Sud sous Thabo Mbeki est l’un des lieux où l’infiltration du Kongo-Kinshasa par un groupe de »nouveaux prédateurs » kongolais et étrangers a été officiellement actée après la signature d’un faux pacte dit républicain. Dans ce pays, des Kongolais ont signé des accords rédigés sans eux et contre le Kongo-Kinshasa. Y retourner peut être synonyme de remuer le couteau dans la plaie toujours saignante du Kongo. C’est le lieu où certains kongolais ont accepté de se mentir à eux-mêmes. Ils ont choisi de se partager ce pays avec des mercenaires étrangers comme »un gâteau ». Chacun pouvait avoir son morceau. En plus des salaires mirobolants et/ou des carrés miniers.
Sun City et Pretoria sont complices de la guerre de prédation et de basse intensité qui se perpétue au Kongo-Kinshasa jusqu’à ce jour. Retourner en Afrique du Sud pour répondre à l’invitation d’un ex-faux médiateur aux agendas cachés devrait donner à penser. C’est pour quoi faire ?
A Sun City ou à Pretoria, le »Kongo-gâteau » se voyait débarrasser de sa culture des luttes émancipatrices, de sa culture de la résistance contre tous les vautours du monde, de sa culture de la résilience pour bâtir un pays plus beau qu’avant, pour être piteusement réduit à sa plus simple expression matérialiste. A Sun City, une commission – la commission (Justice), Vérité et Réconciliation- pouvant faire un peu plus de lumière sur les effets néfastes du »capitalisme de la finitude », sur les crimes de »vieux dinosaures » et de » nouveaux prédateurs » fut proposée. De retour au pays, »les nouveaux prédateurs » la mirent en place et ne lui permirent pas de fonctionner. Ils avaient peur. S’étant menti à eux-mêmes, ils avaient peur que leurs crimes et leur mensonge ne soient déballés au grand jour.
Dans une certaine mesure, Sun City et Pretoria sont complices de la guerre de prédation et de basse intensité qui se perpétue au Kongo-Kinshasa jusqu’à ce jour. Retourner en Afrique du Sud pour répondre à l’invitation d’un ex-faux médiateur aux agendas cachés devrait donner à penser.
C’est pour quoi faire ? Reconduire le projet des mondialistes en mobilisant quelques Kongolais et mercenaires ? Torpiller les luttes souverainistes des résistants et des résilients kongolais toutes tendances confondues ? C’est pour quoi faire ?
L’Afrique du Sud de Cyril Ramaphosa
C’est vrai. L’Afrique du Sud de Cyril Ramaphosa pourrait être, pour le Kongo-Kinshasa, un bon partenaire sous-régional et une carte à jouer. Elle est membre des BRICS dont les luttes souverainistes pour un monde multipolaire pourraient, petit à petit, participer de la réinvention du monde. Sachant guerre raciste de prédation et de basse intensité est menée par »les joueurs des billards »[9], le Kongo-Kinshasa devrait toujours être méticuleux dans le choix de ses amis et de ses partenaires. La naïveté serait une bêtise. Ses ascètes du provisoire en sont plus que convaincus.
La rupture avec le capitalisme du désastre et/ ou de la finitude passe par des choix souverainistes pour un système alternatif. Des conciliabules incapables d’engager sur cette voie ne servent à rien. Et ce n’est pas »un nègre de service » des mondialistes qui peut les proposer. Non.
Babanya Kabudi
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[1] Lire N. KLEIN, La stratégie du choc. La montée du capitalisme du désastre, Paris, Leméac, 2008. [2] C. BRAECKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2003, p.187. [3] Lire J.-C. WILLAM, Les « faiseurs de paix ». Gestion d’une crise internationale dans un pays sous tutelle, Bruxelles, Grip, 2008. [4] Lire P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p.398-399. [5] Lire J.REVER, Rwanda. L’éloge du sang, Paris, Max Milo, 2020, p. 292-293. [6] S. BUCYALIMWE MARARO, Acteurs nationaux et régionaux de la guerre et du complot de balkanisation en RDC, dans J. KANKWENDA MBAYA et F. MUKOKA NSENDA (sous la direction de), La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, Kinshasa, Icredes, 2013, p..215. [7] C. BRAECKMAN, O.C., p. 137. [8] Ibidem, p.137. [9] Lire Thabo Mbeki, le retour de faux sauveurs, Sun City II ne repassera pas – IngetaThabo Mbeki, le retour de faux sauveurs, Sun City II ne repassera pas