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La banalité du mal et les Congolais

La banalité du mal et les Congolais

La banalité du mal et les Congolais 640 360 Ingeta

Par Bénédicte Kumbi Ndjoko

Aujourd’hui l’appel au dialogue tel que voulu par la CENCO devient un must. Celui-ci semble devenir une jauge qui aide à déterminer qui est un Congolais valable et qui ne l’est pas.

Appeler au dialogue peut être légitime, surtout face à la guerre. Ecouter tous les acteurs peut parfois aider à réduire la violence. Mais le dialogue n’est jamais neutre, en particulier lorsqu’il se déroule dans des espaces publics non cadrés et face à des groupes armés responsables de crimes documentés.

La banalisation du mal

D’un point de vue politique, ces fora peuvent produire, même involontairement, un effet de normalisation. Les acteurs armés deviennent ainsi des interlocuteurs politiques ordinaires et le cadre criminel dans lequel ils évoluent est complètement effacé ou fortement relativisé. Ils bénéficient alors de plateformes politiques non marginales parce que le cadre est non contraignant, parce qu’il ne rappelle pas le caractère délictueux de la prise d’armes. Ainsi la violence est dépolitisée, voir même banalisée. Hors, l’appel de la CENCO vise précisément à éviter cette normalisation.

Un groupe armé responsable de violences contre des civils n’est pas un acteur ordinaire, n’exprime pas un simple point de vue. Il porte une charge morale préalable qui dans des circonstances normales ne devrait jamais être neutralisée par la conversation elle-même.

On peut également réfléchir la question sous un angle moral et éthique. Dans la plupart des traditions morales sérieuses (droits humains, éthique politique, théologie morale, philosophie pratique), il existe un principe qui dit que la parole publique ne doit pas effacer la responsabilité morale d’actes violents. Il ne s’agit pas de dire que la discussion ne doit pas avoir lieu, qu’il faille refuser l’écoute ou la médiation. Ce que cela sous-entend, c’est qu’il existe une hiérarchie des responsabilités. Sur le plan éthique, ce que cela laisse entrevoir c’est l’idée que tous les interlocuteurs ne sont pas moralement équivalents.

C’est pourquoi un groupe armé responsable de violences contre des civils n’est pas un acteur ordinaire, n’exprime pas un simple point de vue. Il porte une charge morale préalable qui dans des circonstances normales ne devrait jamais être neutralisée par la conversation elle-même. Quand des groupes comme l’AFC/M23 sont souvent invités à longuement exposer leurs raisons, parler de leur « combat », expliquer leur vision, il se produit ce que Hannah Arendt a appelé la banalisation du mal.

Une bataille de perception

Parler à tous n’est pas donc pas une vertu en soi, quand les plus vulnérables sont invisibilisés; quand la parole ne neutralise pas la gravité des actes; quand le dialogue semble vouloir remplacer la justice. On est alors dans l’éthique de la facilité car la fluidité de la conversation importe plus que la complexité morale. Aussi, la question n’est pas « faut-il parler avec l’AFC/M23 »; mais dans quelles conditions morales parle-t-on et qui est protégé par ce cadre?

La banalisation du mal ne commence donc pas lorsque la violence est justifiée, mais lorsqu’elle cesse d’être nommée comme telle. Elle s’installe quand l’écoute supplante la responsabilité, quand le dialogue devient une fin en soi, et quand la souffrance des victimes est reléguée à l’arrière-plan au nom d’un faux réalisme. Les Congolais doivent interroger avec lucidité les espaces qu’ils créent et les paroles qu’ils relaient, car aucune société ne peut se reconstruire durablement en transformant la violence armée en opinion politique parmi d’autres.

Si le cadre protège surtout la réputation des interlocuteurs armés; l’image de neutralité du médiateur; ou la fluidité du débat, alors on est dans un dialogue moralement questionnable. Enfin, il faut aussi reconnaître la dimension de propagande à l’oeuvre dans ce genre d’échange qui participe à une bataille de perception à laquelle nous sommes soumis également.

La banalisation du mal ne commence donc pas lorsque la violence est justifiée, mais lorsqu’elle cesse d’être nommée comme telle. Elle s’installe quand l’écoute supplante la responsabilité, quand le dialogue devient une fin en soi, et quand la souffrance des victimes est reléguée à l’arrière-plan au nom d’un faux réalisme. Les Congolais doivent interroger avec lucidité les espaces qu’ils créent et les paroles qu’ils relaient, car aucune société ne peut se reconstruire durablement en transformant la violence armée en opinion politique parmi d’autres. La paix véritable ne se négocie pas seulement autour d’une table ou dans un forum public; elle exige des cadres clairs, une hiérarchie morale assumée et le refus de toute normalisation de l’inacceptable. Sans cela, le dialogue cesse d’être un outil de sortie de crise et devient un mécanisme ordinaire de reproduction du mal.

 

BK Kumbi

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