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Dieu, le Congo et la paralysie

Dieu, le Congo et la paralysie

Dieu, le Congo et la paralysie 787 541 Ingeta

Par Mufoncol Tshiyoyo

Le Christ qui endort, faut-il croire encore en une fiction qui nous empêche de nous lever ?

« Jésus a encore plusieurs milliards de disciples sur la planète. Mais une hallucination collective a beau être collective, et rassembler de vastes foules, elle n’en demeure pas moins une illusion. Comme Isis et Osiris, Shiva et Vishnou, Zeus et Pan, Jupiter et Mercure, Thor et Freia, Baptiste et Jésus sont des fictions. Les civilisations se construisent sur des fictions et on ne sait qu’il s’agissait de fictions que quand les civilisations qu’elles ont rendues possibles ne sont plus. Plus on croit à ces fictions avec force, plus sa civilisation est puissante. La couche de la croyance épouse celle de la civilisation : la fable de Jésus est généalogique des mille cinq cents ans de la nôtre. »
– Michel Onfray, Décadence. Vie et mort du judéo-christianisme, Flammarion, 2017, p. 63.

« Nzambe akosala »

Mais quand cette civilisation s’effondre, la fiction devient nue, et ceux qui s’y accrochent encore ressemblent à des naufragés tenant une épave pour arche. La phrase est brutale. Elle choque ceux qui croient encore que croire suffit. Mais Onfray ne nie pas la puissance de la religion : il en dévoile le ressort. « Une fiction tenue pour vraie peut fonder une civilisation entière. » ¨

Quand le pays est agressé, occupé, humilié, les « élites » ne répondent pas par la stratégie, ni par la souveraineté. Elles organisent des veillées de prière. Elles citent les Écritures pendant qu’on tue à Béni. Elles entonnent en chœur : «Nzambe akosala» — Dieu fera.

Machiavel, dans Le Prince, avait déjà formulé ce principe : lorsqu’un prédicateur capable de galvaniser les masses surgit, un Prince avisé ne doit ni le combattre ni l’étouffer. La religion devient alors un instrument d’ordre et de stabilité, un ciment social au service du pouvoir. Elle n’est pas seulement affaire de foi, mais un outil politique qui permet de diriger sans brandir sans cesse l’épée.

Onfray ne parle pas de mystère, mais de mécanique : canaliser, orienter, contrôler.
Et c’est ici que le lien se fait avec notre réalité : ce mécanisme, on le retrouve aujourd’hui, intact, au cœur même du Congo. Quand le pays est agressé, occupé, humilié, les « élites » ne répondent pas par la stratégie, ni par la souveraineté. Elles organisent des veillées de prière. Elles citent les Écritures pendant qu’on tue à Béni. Elles entonnent en chœur :
« Nzambe akosala » — Dieu fera.

Mais quel Dieu ? Celui des victimes ou celui des vainqueurs ? Le même Jésus dont les Congolais attendent le salut, alors que ceux qui les dominent ne l’invoquent même pas. Pourquoi le Dieu des Congolais ne répond-il qu’en silence, tandis que leurs ennemis avancent par les armes, les réseaux et la froide organisation ? Ce discours ne tient pas. Il trahit. Il paralyse.

Et le pire, c’est que cette paralysie ne vient pas d’un vide, mais d’une surabondance : pendant que le peuple attend la main de Dieu, on se fabrique des Églises. On célèbre des pasteurs. On encense des prophètes autoproclamés. Certains deviennent pasteurs du jour au lendemain, non parce qu’ils ont reçu un appel, mais parce qu’ils ont flairé l’occasion d’un pouvoir facile.

L’entretien de la dépendance

La religion devient alors le langage commun des collabos, des gouvernants et de leurs courtisans. Et même l’opposition prie ce même Dieu ! Tous partagent la même Bible, les mêmes versets, le même Dieu silencieux. Aucune doctrine politique. Aucun projet. Juste des psaumes. Oui, il y a quelque chose de pourri dans la religion congolaise.

On prie non pour libérer le pays, mais pour entrer dans les faveurs d’un Prince lui-même dépendant. Dans ce cas, ce n’est pas Dieu qu’on adore, mais l’espoir d’une faveur. La foi devient une théâtralisation morbide, une confusion organisée.

Cinq siècles après Machiavel, ce que celui-ci décrivait comme un levier de stabilité est devenu, au Congo, un levier d’inaction. La mécanique est la même, mais l’effet est inverse : au lieu de maintenir la puissance, elle entretient la dépendance.

On prie non pour libérer le pays, mais pour entrer dans les faveurs d’un Prince lui-même dépendant. Dans ce cas, ce n’est pas Dieu qu’on adore, mais l’espoir d’une faveur. La foi devient une théâtralisation morbide, une confusion organisée. Une foi qui ne sauve plus, ne libère plus, ne construit plus.

Et pendant ce temps, des hommes tombent. Le pays s’effondre. Le peuple saigne. Et l’on continue de danser à l’Église Philadelphia, parce que c’est là que prie celui qui tient le bâton… prêté. La question s’impose alors : faut-il continuer à croire en une fiction qui nous empêche de nous lever?

C’est là que Marx et Onfray se rejoignent.
– Marx disait que la religion est l’opium du peuple, la consolation de l’esclave.
– Onfray dit que le mythe ne devient visible comme mythe que lorsque la civilisation s’effondre. Et nous ? Nous sommes dans un effondrement enrobé d’hymnes. La question devient vertigineuse :
faut-il continuer à prier ce Dieu-là ?
Faut-il continuer à marcher dans la fiction du vaincu ?
Faut-il encore croire en une parole qui ne vient jamais ?

Les architectes de notre propre transcendance

Car la vérité est là : nous sommes dans une civilisation post-chrétienne, dont le cœur de croyance est usé. Malgré cela, au Congo, on croît encore comme si Rome dominait, comme si la foi chrétienne allait ressusciter un ordre disparu. Ce n’est plus de la foi, c’est de la paralysie sacrée.

Ce qu’il faut aujourd’hui au Congo, ce n’est pas de tuer Dieu, mais de rejeter le Dieu qui justifie la défaite. Ce n’est pas d’abandonner la foi, mais de brûler la croyance qui nous paralyse. Ce n’est pas de renier toute spiritualité, mais de forger une nouvelle conscience active, lucide, incarnée. Parce que nous ne pouvons plus vivre sous une fiction qui nous enseigne à attendre pendant que d’autres agissent.

Et pendant que nous nous agrippons à cette paralysie, d’autres peuples ont tranché : les Chinois, par exemple, ont dit clairement : « Nous ne pouvons pas croire à une religion qui nous a dominés. » Ils ont rejeté les Églises importées comme des outils de colonisation mentale. Ils ont repris en main leur pensée, leur narration, leur vision du monde. Et nous ? Nous prions encore le Dieu du colon, dans la langue du colon, pour demander la paix à ceux qui font la guerre contre nous.

Oui, les civilisations se construisent sur des fictions. Mais toutes les fictions ne se valent pas. Il y a des fictions qui libèrent, et d’autres qui endorment. La leçon de Machiavel était claire : un pouvoir sans ancrage dans les croyances populaires est fragile. Mais lorsque ces croyances ne servent plus la puissance du peuple, elles deviennent un piège. Ce que Machiavel voyait comme un rempart peut se transformer en chaîne.

Ce qu’il faut aujourd’hui au Congo, ce n’est pas de tuer Dieu, mais de rejeter le Dieu qui justifie la défaite. Ce n’est pas d’abandonner la foi, mais de brûler la croyance qui nous paralyse. Ce n’est pas de renier toute spiritualité, mais de forger une nouvelle conscience active, lucide, incarnée. Parce que nous ne pouvons plus vivre sous une fiction qui nous enseigne à attendre pendant que d’autres agissent. Il est temps de redevenir les auteurs de notre mythe, les créateurs de notre récit, les architectes de notre propre transcendance.

Si le Christ de Rome, des églises multiformes, n’est plus qu’une ombre, cessons de vivre dans son tombeau. Que le Congo forge enfin la fiction qui le rend puissant ! Ou mieux : qu’il se donne lui-même.

 

Mufoncol Tshiyoyo, M.T., Un homme libre
Président du Mouvement R.A.P. (Refus – Affirmation – Puissance)
Fondateur du think tank « La Libération par la Perception, LP »

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