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Charles Onana, le tabou tutsi et les silences imposés

Charles Onana, le tabou tutsi et les silences imposés

Charles Onana, le tabou tutsi et les silences imposés 750 422 Ingeta

Par Mufoncol Tshiyoyo

Il y a, dans la manière dont les journalistes congolais interrogent Charles Onana, un malaise plus profond que la simple retenue professionnelle. Ils posent des questions sans jamais se tenir derrière elles. Ils convoquent un sujet qu’ils feignent de ne pas voir. Les formules prudentes comme « selon toi », ou le recours à la neutralité vide, ne sont pas des gestes anodins. Elles dénotent une peur intériorisée, une abdication identitaire, comme si se positionner sur le sujet, c’était déjà risquer la mise à mort symbolique — ou pire : la perte d’un confort précaire.

Mais qu’est-ce que cette peur dit de nous, Congolais ? Que signifient ce réflexe d’esquive, cette gêne palpable, ce regard baissé devant la question tutsie ? On ne parle pas ici d’une hésitation journalistique triviale, mais d’une impuissance structurelle à nommer. Une incapacité à affirmer, à dénoncer, à assumer. Une souveraineté fuyante, jusque dans la parole.

Des tabous interdits

Onana, en étranger, le remarque. Il ne comprend pas. Il croit moquer. Mais touche juste. Ce silence est le signe d’un effondrement. On ne parle plus de ce qui blesse, car ce qui fait du mal n’est plus à soi. Le sujet est devenu un tabou interdit, non pas parce qu’il est dangereux, mais parce qu’il est géré ailleurs. Ce n’est plus un enjeu congolais. C’est une ligne rouge dictée, une frontière intérieure tracée depuis l’extérieur.

Plus de 35 ans que le chaos, justifié par des discours sur la cohabitation, les rivalités ethniques ou les intérêts économiques, masque une logique froide de conquête et de dépossession. On parle de réconciliation, mais jamais de vérité. On célèbre la paix, sans jamais nommer la guerre.

Au Congo, certains sujets ne sont pas seulement tabous. Ils sont des tabous interdits. Ce n’est pas qu’on ne peut pas en parler, c’est qu’on ne peut même pas dire qu’on ne peut pas aborder ce sujet. Ce refoulement dans le refoulement produit des silences imposés, structurés par la peur, entretenus par la lâcheté, légitimés par une illusion de stabilité. Ce n’est pas un oubli : c’est un bâillonnement.

Plus de 35 ans que l’Est du pays saigne. Plus de 35 ans que le chaos, justifié par des discours sur la cohabitation, les rivalités ethniques ou les intérêts économiques, masque une logique froide de conquête et de dépossession. On parle de réconciliation, mais jamais de vérité. On célèbre la paix, sans jamais nommer la guerre.

L’école du compromis

Le journalisme à la Kwebe Kimpele est rare, et peut-être révolu. Une parole frontale, à contre-courant, qui interroge Mobutu jusqu’à l’absurde — un coup d’État contre lui-même (24 avril 1990) — et qui, dans un autre article (Le Soft International), saisit le basculement du régime de Mobutu à travers la transhumance des élites. Kwebe écrivait : « Le pouvoir change de rive. » Des Mobutistes se transformaient en Kengo Boys avant la chute du régime. Il écrivait non pour expliquer, mais pour dévoiler. Il écrivait sans distance avec le destin de son peuple. Plus tard, je lirai Emmanuel Kabongo Malu qui, à travers ses écrits, assume ses mots.

Toute défaite, pour cesser d’être un effondrement, doit être nommée comme telle. Nommer, c’est reprendre prise. Assumer, c’est résister. Ce que nous avons perdu, c’est la capacité à habiter nos mots

Aujourd’hui, une génération de journalistes formés à l’école du compromis feint de poser les questions pertinentes. Mais le cœur du problème est ailleurs : dans leur refus d’incarner les enjeux qu’ils décrivent. Dans leur incapacité à parler depuis le Congo, et non simplement du Congo.

Ce silence est une défaite. Et toute défaite, pour cesser d’être un effondrement, doit être nommée comme telle. Nommer, c’est reprendre prise. Assumer, c’est résister. Ce que nous avons perdu, c’est la capacité à habiter nos mots — à leur rendre leur poids, leur gravité, leur fonction de levier.

La reconquête du langage

Nous ne craignons pas la mort. Et ce n’est pas un effet de style. C’est une disposition intérieure, une lucidité forgée dans l’histoire longue de nos douleurs. Comme l’écrivait Épictète dans le Manuel (Enchiridion, §5) :
τὰ πράγματα ταράττει τοὺς ἀνθρώπους, ἀλλὰ τὰ περὶ τῶν πραγμάτων δόγματα.
Θάνατος οὐδὲν δεινόν• εἰ δὲ δεινόν ἦν, καὶ Σωκράτει ἐφάνη.
« Les hommes ne sont pas troublés par les choses elles-mêmes, mais par la manière dont ils les perçoivent. Ainsi, la mort en elle-même n’est pas effrayante, autrement, elle l’aurait été pour Socrate. Ce qui est effrayant, c’est notre conception de la mort. L’idée que nous nous en faisons comme étant terrible. »

Reprendre notre parole, c’est cesser de fuir la peur, c’est ne plus négocier le droit de dire. C’est aussi reconnaître que la souveraineté commence dans la pensée.

Reprendre notre parole, c’est cesser de fuir la peur, c’est ne plus négocier le droit de dire. C’est aussi reconnaître que la souveraineté commence dans la pensée. Une pensée claire, courageuse, vivante, prête à se dresser.

La souveraineté commence là : dans cette reconquête du langage. Il ne s’agit pas de dénoncer pour dénoncer. Il ne s’agit pas de crier pour se faire entendre. Il s’agit de parler depuis une position tenue, une verticalité refusée à ceux qui veulent faire du Congo un territoire vide, sans voix, sans visage, sans mémoire.

En 2028, il ne s’agira pas de voter. Il s’agira de savoir si nous pouvons encore dire « nous », en assumer la charge.

 

Mufoncol Tshiyoyo,
M.T., un esprit libre

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