Par Mufoncol Tshiyoyo
Plusieurs se demandent comment célébrer le 2 août, jour de mémoire dédié aux millions de morts congolais. Faut-il marcher ? Pleurer ? Allumer des bougies ? Organiser des messes ? Convoquer des conférences ? Faut-il faire comme d’autres peuples l’ont fait ? Transformer le deuil en rituel ? Transformer la blessure en mémoire officielle ? Les morts en ancêtres communs ? Faut-il enseigner le génocide congolais comme on enseigne la Shoah, pour que plus jamais cela ne se reproduise sans réponse punitive ?
On ne célèbre pas la défaite en allumant des bougies. On ne pleure pas un peuple sacrifié en organisant des messes sans lendemain.
Mais, à force de copier les autres, ne risquons-nous pas de nous trahir encore ? Nos morts ne sont pas tombés les armes à la main, dans l’honneur du combat. Pour la plupart, ils sont morts dans le silence. Dans l’indifférence. Dans des conflits qu’ils n’ont pas choisis. Non, le Congo n’a pas été le théâtre de sa propre guerre. J’insiste sur « sa propre guerre », mais le champ d’exécution de celles des autres.
Trente ans d’obéissance silencieuse
Cela fait plus de trente ans que notre pays, et une grande partie de son élite, est embarquée dans des guerres élaborées ailleurs, par des laboratoires impériaux, et exécutées ici avec une fidélité morbide.
Ce silence n’est plus tolérable. Ce silence tue. Ce silence complice nous affaiblit plus que les armes.
Trente ans d’infiltration. De domination. De trahison. Trente ans de soumission à la machine de « guerre » tutsie, rwandaise, ougandaise, avec le Kenya désormais dans le rôle du parrain docile. Trente ans de morts, et personne pour dire : « assez ». Des exceptions ne manquent jamais.
Ce silence n’est plus tolérable. Ce silence tue. Ce silence complice nous affaiblit plus que les armes.
Ici, je demande qu’on ne vienne pas m’accuser de tous les noms simplement parce que j’ai nommé les choses. Le mot « Tutsi » n’est pas un fantasme sorti de mon esprit. C’est ainsi qu’ils se désignent eux-mêmes, sans gêne, sans détour. Je respecte cette dénomination. Je la reprends tout juste. Comme je ne l’ai ni inventée ni chargée d’une intention autre que celle de désigner explicitement les forces concernées.
En revanche, je n’ai pas participé au génocide au Rwanda. Mais je refuse que l’histoire de mon peuple soit rendue indicible par la culpabilité des autres. Il faut, à un moment, nommer les choses sans arrière-pensée. Nommer, ce n’est pas haïr. C’est se situer.
Je nomme. Je ne hais pas. Le Tutsi est un nom que l’histoire porte et que l’histoire doit assumer. Je n’efface pas la Shoah, cependant je refuse qu’elle serve de justification pour le mutisme sur notre tragédie. Donc, cessons de faire semblant.
Le temps n’est plus au deuil
Cessons de pleurer. Cessons d’implorer. Cessons d’attendre qu’on « nous » respecte sans « nous » défendre. Les guillemets sur « nous ». Le temps n’est plus au deuil, mais à la levée des âmes.
Le Congo n’a pas besoin de funérailles nationales. Il a besoin de résurrection politique. Le Congo n’a pas besoin de messes, plutôt d’un message. Le Congo n’a pas besoin de larmes, mais de levée de drapeaux et d’armes.
Le Congo n’a pas besoin de funérailles nationales. Il a besoin de résurrection politique. Le Congo n’a pas besoin de messes, plutôt d’un message. Le Congo n’a pas besoin de larmes, mais de levée de drapeaux et d’armes.
Nous ne devons pas pleurer nos morts. Pleurer n’enseigne pas, ne construit pas, ne forge pas la nation. La mémoire ne suffit pas. Elle doit devenir exigence. Et l’exigence doit devenir décision. Je n’interdis à personne de pleurer.
Que ceux qui veulent marcher, marchent !Que ceux qui veulent prier, prient ! Mais moi, le cœur souffle la flamme de la lutte permanente. Il n’y a pas que les autres à recourir aux armes pour nous soumettre. Ils ne détiennent pas le monopole de la lutte. Nous avons le droit, – non : le devoir – de dire non, de dire assez, d’affirmer : plus jamais sans riposte. La mémoire doit devenir message. Le message doit devenir action. Et l’action, un feu sacré que plus rien n’éteint.
Lettre ouverte à Alain Atundu
Lettre adressée à un homme des services, pour que la mémoire ne serve pas qu’à se taire. Pourquoi m’adresser à vous, Alain Atundu ? Je ne vous écris pas pour instruire un procès. Pour moi — et sauf preuve contraire — vous êtes un témoin de l’histoire. Et un témoin de ce type n’est jamais un homme quelconque dans la trajectoire du Congo. Quand il s’agit du système, vous en connaissez les arcanes.
De plus, vous avez été une des figures des services de renseignement sous Mobutu. Alors, vous avez connu le pouvoir, les luttes d’influence, les secrets d’État. Vous êtes intelligent, structuré — je ne l’oublie pas. Mais, vous avez aussi vu l’effondrement. Celui du régime. Et, avec lui, celui du socle national. Vous faites partie de ceux qui ont été chassés du pouvoir — non pas par une insurrection populaire, mais par l’AFDL, ce conglomérat d’aventuriers étrangers — Rwanda, Ouganda, Kenya et autres — façonnés pour une mission : livrer le Congo aux intérêts anglo-saxons.
Vous connaissez ces hommes. Vous les avez fréquentés. Vous savez comment ils parlent, comment ils pensent, ce qu’ils veulent. Vous connaissez l’élite rwandaise et ougandaise, leurs méthodes, leurs réseaux, leur projet régional. Même si les Ougandais figurent parmi les parrains du régime. Vous savez qu’ils n’ont jamais quitté le terrain, qu’ils opèrent encore — souvent avec la complicité de ceux d’ici. Vous avez vu l’État congolais devenir un espace occupé, sans même qu’une guerre ne soit déclarée.
Vous savez ce que signifie être un État sous tutelle : quand les décisions sont prises ailleurs, quand les agendas viennent de l’extérieur, quand l’intérêt national n’a plus droit de cité. Vous avez servi dans les services. Vous avez été formé à lire entre les lignes. Vous avez connu la CIA de l’intérieur. Et aujourd’hui, cette même CIA soutient ceux qui vous ont balayés : Kagame au Rwanda, Museveni en Ouganda. Vous savez ce qu’ils représentent. Et vous savez aussi ce qu’ils ne permettront jamais : un Congo souverain.
En tant qu’homme des services, également par votre formation, vous connaissez les rapports de force, les mécanismes de la duplicité, les jeux d’allégeance. Vous savez ce qu’un homme peut faire — et ce qu’il ne peut plus faire quand les maîtres changent. Vous connaissez les limites imposées par la tutelle étrangère. Mais vous connaissez aussi les moyens du réveil, les failles dans le système, les hommes qu’on peut encore convaincre. Et ceux qu’il faut écarter.
Nos chemins se sont croisés à Brazzaville, sur ma route vers l’exil, avant que je ne parte pour l’Europe. Nous étions là, Congolais dépossédés, contraints d’observer notre pays tomber sous contrôle. Alors, Brazzaville comme bastion de la résistance. Ce souvenir ne m’a jamais quitté. Il nous lie à une époque de basculement. Aujourd’hui, vous êtes de retour, en fonction dans le régime. Mais, que cela soit clair : je ne vous écris pas à ce titre. Je ne m’adresse pas au représentant d’un appareil. Je m’adresse à un homme de mémoire. Je ne parle pas à un fonctionnaire.
Conscience & décision
Je parle à une conscience. Car, quelle que soit votre « position », vous savez. Si vous savez, alors vous n’êtes plus libre de vous taire. Vous n’avez peut-être plus tous les leviers. Mais vous pouvez parler. Vous pouvez agir. Vous pouvez transmettre. Parce que ceux qui ont fréquenté la machine savent comment elle peut être arrêtée.
Le 2 août ne doit pas être un tombeau. Il doit être une date de fondation. Nous n’avons pas besoin de compassion. Nous avons besoin de conviction. Nous ne voulons plus survivre. Nous voulons décider. Nous voulons choisir. Ensuite, ce droit, nous ne le demanderons pas — nous le prendrons.
Je ne vous écris pas par nostalgie. Ni par colère. Je vous écris parce qu’il reste sûrement peu de temps. Que certains silences deviennent, avec l’histoire, des fautes ! Alors, je vous demande : n’est-ce pas l’heure de la revanche ? Je ne vous parle pas de vengeance. Je vous parle de restauration.
Je parle de rupture. Je parle de vérité. De nation. Je vous parle de mémoire active. Je vous parle du droit de reprendre notre pays, de l’armer, de le libérer, de le réenchanter. Ne devrais-je pas m’adresser à vous comme à un ami ?
En conclusion,
Le 2 août ne doit pas être un tombeau. Il doit être une date de fondation. Nous n’avons pas besoin de compassion. Nous avons besoin de conviction. Nous ne voulons plus survivre. Nous voulons décider. Nous voulons choisir. Ensuite, ce droit, nous ne le demanderons pas — nous le prendrons.
Mufoncol Tshiyoyo, M. T.
Président du Mouvement R.A.P. (Refus – Affirmation – Puissance)
Fondateur du think tank « La Libération par la Perception, LP »