Par Benoît Lannoo
Un Etat digne de ce nom doit disposer de troupes redoutables. Mais la République Démocratique du Congo (RDC) n’est guère un Etat et son armée fait la risée de tout observateur. « L’armée congolaise n’a jamais été performante », dit Jean-Jacques Wondo Omanyundu, « bien qu’elle puisse parfaitement l’être ».
Chaque coup de théâtre, tout parti d’opposition et chaque mouvement rebelle au Congo-Kinshasa a fait l’objet de commentaires et de descriptions détaillées. Mais les analyses sur les forces armées régulières au Congo sont beaucoup moins abondantes (tout comme d’ailleurs la littérature concernant les entreprises multinationales actives sur le territoire congolais). L’étude approfondie Les Armées au Congo-Kinshasa que Jean-Jacques Wondo Omanyundu, a présenté le samedi 12 janvier 2013 à Leuven, lors d’une après-midi d’études organisée par les amis du Congo de l’association sans but lucratif Bana Leuven, est dès lors fort intéressante, et cela malgré ses maints excursus, redites et petites fautes et malgré le discours de l’auteur par moments assez proche de celui de l’opposition politique au pays.
Wondo ne s’est pas limité à faire la radioscopie de l’armée-fantôme au Congo dans ses cinq apparences successives : la Force Publique avant l’indépendance et par après l’Armée Nationale Congolaise (ANC), les Forces Armées Zaïroises (FAZ), les Forces Armées Congolaises (FAC) et les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) actuelles. Il a ajouté une seconde partie à son ouvrage dans laquelle il dessine les contours de ce qui pourrait être une armée nationale et républicaine, capable d’étayer un Etat digne de ce nom à l’intérieur des frontières du Congo-Kinshasa et de défendre l’intégrité de son territoire. Car comme André Corvisier l’a dit à juste titre dans son premier volume de l’Histoire militaire de la France : « L’armée est l’accoucheuse de l’Etat. »
Dans son étude comparative de l’évolution des différentes armées qui se sont succédé au Congo depuis 1895, Wondo constate que le ‘mal zaïrois’ qui avait déjà infecté les troupes à l’époque coloniale, s’est transformé entre-temps en un ‘mal congolais’ : les forces armées ne sont pas capables de se concentrer sur la défense des frontières contre les menaces de l’extérieur, tandis qu’elles participent activement à la déstructuration de l’Etat. Wondo se sert des termes intraversion, perversion, interversion et subversion pour structurer son analyse. « Civil azali monguna ya soda », disait-on déjà à l’époque du Président-fondateur, le maréchal Mobutu Sese Seko: « Le civil est l’ennemi du soldat ». En effet, les troupes congolaises se sont quasi constamment tournées et se tournent encore principalement contre leur propre population.
Des unités mono-ethniques
Fils d’un officier de la Force Publique et formé lui-même à l’Ecole Royale Militaire de Bruxelles, Wondo est particulièrement sensible à un effet pervers de cette intraversion permanente de l’armée dans son pays natal : la promotion soudaine de subalternes à des grades supérieurs. Les premiers dirigeants de l’armée après l’indépendance en sont les exemples les plus connus : en juillet 1960, Victor Lundula n’était que sergent-major quand il fut promu général et commandant en chef et Joseph-Désiré Mobutu n’était que sergent mais il devint du jour au lendemain colonel et chef d’Etat-major. Pareil lors de l’intégration de rebelles de tout plumage au sein des forces régulières suite aux accords de paix de Pretoria et de Sun City (2002) : depuis ce soi-disant brassage des troupes, les nouveaux officiers supérieurs sans la moindre formation adéquate sont innombrables.
Par ailleurs, la leçon que les Belges avaient déjà apprise dès la mutinerie de la garnison de Luluabourg (aujourd’hui : Kananga) en 1895 mais qu’ils n’avaient jamais appliquée eux-mêmes non plus, demeure systématiquement négligée : il faut à tout prix opérer un mélange ethnique suffisant de chaque peloton partout sur le territoire congolais pour éviter qu’aucun groupe ethnique ne puisse dominer. Pour ma part, je comprends le mécontentement voire la honte des compatriotes congolais par rapport au fait que leur chef d’Etat-major fut un jour un Tutsi rwandais (James Kabarebe de 1997à 1998) ou un Maï-Maï (Sylvestre Lwetcha de 1998 à 2001) ; mais n’oublient-ils pas trop vite qu’il fallait être originaire de la région natale du Président-fondateur auparavant pour pouvoir accéder à cette fonction ?
Les troupes congolaises semblent incapables de protéger le territoire du pays contre les agressions extérieures et semblent bien être aux côtés des autorités quand il s’agit de les aider à piller les richesses du pays ou de préserver leur pouvoir corrompu. Cela n’a par ailleurs jamais empêché les leaders congolais de créer des armées dans l’armée quand la méfiance prend le dessus ; c’est ce que Mobutu a fait avec sa Division Spéciale Présidentielle (DSP), le Service d’Action et Renseignements Militaires (SARM), le Service National d’Intelligence et de Protection (SNIP) et autres services spéciaux. Enfin, il reste aussi toujours la possibilité d’éliminer physiquement un commandant militaire devenu trop puissant… L’auteur consacre plusieurs pages aux différentes hypothèses sur l’assassinat du chef d’Etat-major Donatien Mahele Lieko Bukongo (dit « Le Tigre ») le 16 mai 1997, la veille de l’ascension au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila.
Manque de volonté politique
Il est dommage que quelques phases de l’histoire plus récente du Congo dans lesquelles les forces militaires étaient également impliquées, aient totalement échappé à l’attention de Jean-Jacques Wondo Omanyundu. Pourquoi ce silence sur les violences rapportées en mai 1990 au campus universitaire de Lubumbashi, événement qui a tant marqué les relations belgo-congolaises pendant les derniers années de la présidence de Mobutu ? Il aurait aussi été préférable d’être un peu plus systématique dans les pages consacrées aux guerres du Kivu, tant celles de 2004 à 2009 avec le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) de Laurent Nkundabatware que leur prolongation récente avec le Mouvement du 23 mars (M23) sous la direction de Bosco Ntaganda (dit « Le Terminator »).
Il faut objectiver le passé pour pouvoir en tirer les conclusions. Mais il faut aussi la volonté politique de le faire. « plus que jamais ! » avait juré la communauté internationale après ces autres six millions de victimes, ceux de l’Holocauste. Le nombre des victimes de la violence dans la Région des Grands Lacs ne tardera pas à franchir ce chiffre symbolique… L’Occident se réveillera-t-il enfin à cette occasion ? Les hommes, femmes et enfants qui subissent les atrocités quotidiennes à l’est du Congo n’ont en effet rien aux analyses du passé si ce n’est pour leur donner un nouvel avenir. Et un nouvel avenir pour la RDC et les Congolais implique un investissement massif de la part des autorités à Kinshasa, avec l’appui de la communauté internationale, dans ses forces armées régulières et dans le secteur de la sécurité en général.
Il est bon que des hommes du terrain comme Wondo osent se hasarder à un projet de refondation d’une armée « nationale et républicaine » en RDC. Le général Paul Mukobo Mundende, ancien chef d’Etat-major des Forces terrestres sous Mobutu et un grand exemple pour l’auteur, a d’ailleurs accepté d’ajouter ses leçons à l’ouvrage. Les principaux défis se résument ainsi : brassage multi-ethnique des troupes, formation soutenue, logement décent pour les familles des militaires et solde suffisante pour les soldats. Mais avant tout, il faut la volonté politique de construire une armée digne de ce nom. « Volonté politique », ce fut l’adage lors de la présentation de cet ouvrage. Ou comme le disait concrètement le colonel Patrick Vanhees de l’European External Action Service (EEAS) : « Former des cadres pour le secteur de sécurité quand tu ne disposes que de financement garanti pour deux ans, c’est plutôt frustrant. »
Benoit Lannoo
Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force Publique au FARDC. Enjeux et Défis de la Refondation d’une Armée Nationale et Républicaine, Saint-Légier (Suisse), Monde Nouveaux/Afrique Nouvelle, 2013, xxi + 424 pages, 30 euros: plus d’infos chez bana.leuven@gmail.com.
(L’article ci-dessus est une traduction améliorée de l’article original en Néerlandais mis en ligne le 17 janvier 2013 via http://www.mo.be/recensies/de-legers-van-congo-rontgenfoto-van-een-spookleger .)
Un livre qui devait être écrit depuis LONGTEMPS par nos ainés et prédécesseurs dans la lutte pour un renouveau de l’Homme Congolais.
Encore merci à notre frère jean-jacques Wondo de s’est donné la peine de rattraper ce retard.
Matondo Mingi
La qualité bonne ou mauvaise d’une armée est un des indicateurs importants de la qualité de l’Etat lui-même. Si les institutions fonctionnant au sein de l’Etat existent bien en RDC, l’analyse de la réalité de ce pays montre que la qualité de l’action de ces institutions éloigne celles-ci de la réalisation de l’intérêt général.